LONDRES 2012 | Sheds with Beds


London  | Back garden slum |2012

Chômage, hausse exceptionnelle - ou plutôt explosion - des loyers, des services publics, insuffisance structurelle du parc de logements sociaux, baisse des aides gouvernementales, actions des spéculateurs, etc,  sont à l'origine de la recrudescence des formes traditionnelles spatiales de la pauvreté urbaine : en 2011, le nombre de sans abris était en nette augmentation, près de 4 000 personnes dormaient dans les rues de Londres. La moitié d’entre elles sont originaires du Royaume-Uni, les autres venant de divers pays, en particulier de Pologne. Le nombre de familles en attente d’un logement social à Londres a doublé entre 1997 et 2010 pour passer à 362.000 demandes, et représente aujourd’hui plus de 20 % de la liste d’attente nationale. Sans compter bien évidemment, les milliers de clandestins, de travailleurs en situation irrégulière, survivant dans les cabanons illégaux - "sheds with beds" - ou les taudis surpeuplés des quartiers pauvres. 


LGreater London Authority estimait en 2011 que 380.000 immigrés sans-papier vivent à Londres, soit 5 % de la population londonienne. Pour nombre d'entre eux et les personnes en grande difficulté, les solutions sont soit la sous ou co-location à plusieurs familles dans les cités d'habitat social, dans les taudis surpeuplés illégaux  de marchands de sommeil, soit les beds and breakfasts, l'habitation à l'année dans les villages de mobile homes ou de caravanes, le squat, etc. 


Le squat "social" à Londres est ainsi redevenu une pratique courante, et le gouvernement s'occupe à criminaliser les occupants illégaux. Le ministre de la Justice, Kenneth Clarke annonçait en 2011 que " le temps des droits des squatteurs est fini",  et justifiait le durcissement des lois anti-squat. Des mesures destinées à  protéger les spéculateurs et les promoteurs qui gardent des immeubles entiers vides pour faire grimper les prix de la location et de la vente. Une enquête publiée en septembre 2011 par le Centre pour la recherche sociale et l’économie régionale en collaboration avec l’association caritative Crisis, indique que 78 % des SDF ayant squatté s’étaient auparavant vus refuser l’attribution d’un logement social par les services sociaux de leur municipalité qui a considéré que ce n'était pas, pour eux, "un besoin prioritaire" ou parce qu'ils ont été accusés "d'être devenus sans-abri volontairement"... Les auteurs de cette enquête constatent le délabrement des services sociaux incapables de faire répondre aux demandes des sans logis : "les gens squattent car ils n’ont pas accès à des logements alternatifs". Problème aggravé par la suppression de 1.169 lits dans les structures d'accueil depuis mars 2010 du fait des coupes budgétaires."Il n’y a pas de cas où les squatteurs se sont installés dans des logements occupés. Ce sont des immeubles vides, abandonnés et souvent en ruine. Certains les réparent, d’autres vivent dans les conditions miséreuses, sans aucune sécurité du fait des équipements et installations électriques délabrée". 




Back garden slums 

Le gouvernement britannique n'offrant ni volonté, ni solution pour endiguer cette exceptionnelle crise du logement, les londoniens ont ainsi inventé un nouveau type d'habitat, de taudis - inédit - : les cabanons - sheds - qui prolifèrent dans les jardins des pavillons individuels, les back gardens, les arrières-cour des maisons de ville, appartenant à des particuliers devant faire face à des difficultés financières, à d'anciens immigrés installés, qui profitent de ces espaces pour y bâtir des cabanons en tôle ondulée, ou en maçonnerie pouvant être occupés par plusieurs personnes. Les garages peuvent également être reconvertis, et d'ailleurs, parfois ces constructions illégales sont camouflées en garage... d'autres en abris de jardin.  




Les militants pour le droit au logement les appellent les “bidonvilles secrets” de Londres, car ces cabanons cachés, camouflés dans les jardins, ces vrais-faux garages ne sont pas déclarés aux autorités, pour échapper aux taxes, impôts mais surtout aux réglements concernant les pièces d'habitations en matière d'hygiène et de sécurité ; de plus les "locataires" sont souvent des immigrés en situation irrégulière. Des "sheds with beds" qui se comptent aujourd'hui par milliers, disséminés dans la capitale britannique. Un garage "aménagé" avec une salle de bains séparée, se loue en 2012, 500 £ par mois. Pour les moins fortunés ou en situation de détresse, un simple abri de jardin, sans sanitaire ni électricité, ni eau chaude,  peut être partagé à plusieurs. 

Ce phénomène semble à présent se développer parmi le monde étudiant, et celui des jeunes célibataires d'origine anglaise ayant un salaire régulier, préférant ce type d'habitat à une pénible co-location. Certaines annonces, peu nombreuses il est vrai, offre ainsi des  super sheds with beds  légaux, sorte de studio conçu selon les mêmes principes mais conforme aux normes sanitaires et présentant parfois un design intérieur chic ou branché. Ils peuvent également être destinés aux enfants en âge de quitter le domicile familial mais n'ayant pas assez de ressources pour se permettre une co-location, pratique largement répandue à Londres. 

Le journaliste Richard Hall du quotidien The Independent, assure que :  " Les abris sont souvent dangereux, exigus et insalubres. Certains n’ont qu’un trou dans le sol en guise de toilettes, d’autres sont faits en bois avec un simple toit en toile goudronnée. Les gens qui y habitent sont parmi les plus démunis de la société et n’ont guère de choix pour se loger. “Ce sont généralement des personnes à faibles revenus, qui gagnent moins que le salaire minimum”, explique James Bolt, responsable des permis de construire au conseil de Newham et membre de l’équipe chargée de repérer et de détruire ces constructions. “Il y a souvent des immigrés clandestins, parce que ces logements sont discrets et que vous n’allez pas vous plaindre du confort si vous êtes ici illégalement.” Les conditions de vie dans les cabanons rappellent souvent celles qui prévalaient dans les célèbres taudis de l’East End à l’époque victorienne. “Quand on entre dans ces endroits, on a parfois vraiment l’impression de retourner au Moyen Age”, poursuit Bolt. Selon l’organisation caritative Shelter, qui lutte pour le droit au logement, vivre dans ces logements délabrés n’expose pas seulement les locataires à des risques sanitaires, mais les laisse sans défense face à l’exploitation. “Ils peuvent se retrouver dans la rue d’un instant à l’autre parce que, lorsque le conseil met la main sur le propriétaire, ils sont virés”, précise Bill Rashleigh, un chercheur qui travaille pour Shelter :

 “ Ils ne peuvent pas non plus recourir à la loi. Si le propriétaire augmente le loyer, ils ne peuvent pas protester. Ils n’ont pas de lois pour protéger leurs droits, ils sont en proie à l’exploitation, leur santé est mise en danger et il ne leur reste aucune forme de sécurité.”

Le phénomène prend assez d'ampleur pour que le ministre du Logement Grant Shapps déclare à la presse :

"C'est un scandale que ces "back garden slums" puissent exister pour exploiter les gens, dont beaucoup sont prêts à retourner volontairement dans leur pays d'origine, mais se retrouvent piégés et doivent payer des loyers exorbitants pour vivre dans des conditions pareilles. Je veux une vague de répression sur ces propriétaires criminels. Et aujourd'hui, nous lançons un groupe de travail national, composé de la police, des conseils locaux, de la UK Border Agency afin de les éradiquer, et d'aider ceux qui vivent là  [...] " 

L'arrondissement de Newham – où est implanté le parc Olympique de Strarford - semble être le secteur de Londres le plus touché par ce phénomène. Mais le problème est loin d’être spécifique à Newham, il y a des milliers de constructions insalubres de ce type dans Londres. La cupidité de certains propriétaires n’est pas seule responsable de ce phénomène et l'association Shelter impute la forte augmentation du nombre de cabanons au manque d’action du gouvernement en matière de logement  :

“ Ces cabanons montrent à quel point le nombre de personnes qui ne peuvent pas accéder à un logement décent et abordable est important. Beaucoup n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers ce type d’abri. Les prix sont si élevés que les gens ont du mal à trouver un logement qui réponde à leurs besoins. C’est un exemple extrême d’un fait qui touche une énorme quantité de personnes.” 




Le conseil municipal de Newham a récemment créé un département spécial pour s’occuper du problème : “une politique de ‘tolérance zéro’ pour la construction illégale, qui est un délit”, déclare le maire d’arrondissement, Robin Wales [Labour Party]. Le conseil envisage ainsi d’utiliser la photographie aérienne, google earth, et l’imagerie infrarouge pour repérer les cabanons, et il aura le pouvoir de démolir toutes les constructions qui ne respectent pas la réglementation en matière d’urbanisme ou de règles sanitaires. Un moyen également d'une chasse aux clandestins. 




Olympic Newham




Sous l'effet des Olympics Games, Robin Wales dans sa volonté de changer le visage social du quartier, annonce ainsi ne plus pouvoir loger ses habitants les plus pauvres, faute de logements sociaux et, a demandé à d’autres communes , à des associations de bienfaisance,  d’accueillir 500 familles pauvres :


« Nous avons écrit à 1.179 associations de logement dans le pays en leur demandant si elles pouvaient loger 500 familles. Nous ne cherchons pas à les pousser toutes au même endroit, mais à trouver la meilleure solution, car nous avons actuellement une liste d’attente de 28.000 demandes  pour nos logements sociaux. »


De plus,  suite de l’entrée en vigueur d'une baisse drastique des allocations de logement [perçues directement par 1,3 million de foyers dans le Royaume-Uni qui permettaient aux habitants non placés dans des logements sociaux de louer dans le secteur privé, malgré « la surchauffe des loyers depuis l’annonce des Jeux olympiques et l’embourgeoisement progressif du quartier »],  9 000 familles sont menacées d’expulsion. Karen Buck, la parlementaire travailliste de la circonscription londonienne de Westminster-Nord, s’inquiète surtout du fait « que Newham doit chercher jusqu’à 250 km de Londres, ce qui en dit long sur le manque de logements sociaux dans l’ensemble du pays ! Surtout que nous savons que 88 000 foyers londoniens paient des loyers privés supérieurs au plafond des allocations logement, ce qui signifie qu’ils risquent d’avoir eux aussi à chercher une nouvelle habitation », ajoute la députée.


Gill Brown, la responsable de l’association de Stoke-on-Trent, indique pourtant qu’elle refusera la proposition du maire de Newham : « Un véritable nettoyage social est en train d’avoir lieu, estime-t-elle. Nous avons vu par le passé que ce type de déplacements de population n’aboutit qu’à des catastrophes sociales, à l’explosion de quartiers et à la montée de l’extrême droite. La même chose pourrait arriver demain dans notre ville. »


Londres 2012 nous évoque une autre période cruciale, celle de l'exceptionnelle crise du logement des années 1960. Le réalisateur anglais Ken Loach avait alors bouleversé le Royaume-Uni par son téléfilm Cathy Come Home, qui avait suscité un véritable électrochoc sur la nation toute entière. Selon les témoignages d'anciens activistes, Cathy Come Home suscita également un formidable réveil et des vocations, pour les plus jeunes, vers l'activisme des groupes politiques de la New Left. Filmé en 1966, les terribles scènes de Cathy Come Home pourraient servir à illustrer, 45 années après, la situation de Londres d'aujourd'hui. 


Lire notre article : Cathy Come Home








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